Jean-Pierre le conteur…

Lettre à un vélivole aucitain (août 2002)




Cher Ami,

 

Me voici de retour en terre toulousaine et je t’écris d’ici pour te dire que tu as eu bien tort de ne pas venir avec nous à Campolara.

Alors, pour te faire prendre mesure de ton erreur, voici un avant-goût de ce que tu ne découvriras que l’année prochaine.

Campolara, ce n’est certes pas l’Espagne des dépliants touristiques et des agences de voyage, avec ses plages de sable fin, ses belles danseuses et ses castagnettes. Non : c’est une Espagne sauvage et austère qui ne livre qu’aux initiés son âme et ses beautés.

Notre paradis est situé en Castille, sur un plateau doucement vallonné qui culmine à 1000 mètres d’altitude. Si la chaleur est infernale la journée, avec un soleil et un air sec qui vous sèchent un bonhomme sur pied, la nuit est en revanche douce et agréable. Bien que cela soit assez difficile à croire, l’hiver est rigoureux et la région est fréquemment sous la neige : « dix mois d’hiver, deux mois d’enfer » dit un dicton local.

Le plateau est bordé par une barrière montagneuse qui s’étire sur un axe sud-ouest nord-est et sur plus de 120 km. C’est la Sierra de Guadarrama, qui sépare le plateau de la plaine madrilène.

Au sud, cette chaîne se prolonge par la Sierra Gredos et la Sierra de Avila, qui sont plus ou moins parallèles.
 
Le plateau n’est qu’un grand champ de blé à perte de vue. Seules quelques maigres bandes de forêt viennent apporter un peu de variété au paysage. La plaine est saupoudrée de quelques pueblos qui semblent lutter contre les champs tant ils sont ramassés sur eux-mêmes. Même la grosse bourgade de la région, Ségovie, donne cette impression. Il n’y a aucun faubourg et les champs reprennent leurs droits sitôt les portes de la ville franchies.

Notre domaine est coincé entre un champ de blé et un champ de tournesol. Deux pistes en terre, l’une nord-sud, l’autre est-ouest, un petit bout de forêt qui nous fait office de camping ombragé, un grand champ avec une mare asséchée au milieu comme décor.

Avec sa poussière, ses herbes sèches et ses maigres chênes verts, on se croirait dans la savane africaine.

Les installations sont sommaires, mais cela fait partie du charme de l’endroit. Un bloc sanitaire a été aménagé avec toilettes et douches. L’eau est commandée, livrée dans une remorque et stockée dans des citernes sur le toit. Sa température dépend directement de la générosité du soleil du jour. Il y a bien deux douches à l’intérieur mais assez exiguës et ceux qui fréquentent l’endroit leur préfèrent les installations extérieures qui ne respectent pas vraiment l’intimité mais qui offrent le plaisir rare de se doucher sous la Grande Ourse et les étoiles filantes dans le silence galactique. Quel palace de la Costa Brava nous offrirait cela ?

Les planeurs sont rangés et attachés sur le bord de la piste. Il n’y a bien sûr pas de hangar mais une tente « marabout » de l’armée qui sert de starter et de club-house. C’est la « kommandantur ».

Cette année-là, la piste est-ouest était condamnée par les genêts et par le propriétaire qui y stockait une partie de son blé. Il ne restait qu’une belle bande de 1000 m de long, assez large mais passablement poussiéreuse et cahoteuse.

Pour ce qui est des repas, la plupart les prennent au pueblo voisin, Muñopedro. Une petite auberge fournit quelques chambres pour les accros du confort, d’honnêtes petits-déjeuners, des soupers roboratifs et surtout l’indispensable caña (bière pression) et ses incontournables tapas qui concluent divinement une journée de vol. Le déjeuner est souvent pris sur le pouce, voire même négligé car c’est en milieu de journée qu’apparaissent les premiers cumulus, signal de départ des furieux pour qui un 300 km n’est qu’une mise en jambes.

Les planeurs sont en piste dès la fin de la matinée et tout le monde attend fébrilement les premiers signes d’ascendance. Les Allemands sont là avec leurs planeurs motorisés et ce sont eux qui vont en général jouer les buses pour « tâter » la masse d’air. Lorsque le bruit de leurs pétrolettes cesse, c’est la ruée et la ronde du L19 commence.

Ce brave Cessna fait partie des collections du Musée des Anciens de l’ALAT. Il a vu l’Algérie et le Tchad et maintenant il sert de marchepied vers le ciel aux fins planeurs. Une bien belle fin de carrière en somme.

[NDLR : le magazine Info-Pilote de juin 2001 a consacré un article au L19, avec en photo « notre » remorqueur F-BIFB]

 Les excellentes performances déstabilisent régulièrement les pilotes plus habitués à se faire remorquer par de poussifs Rallyes que par ce fringuant quinquagénaire. Larguer dans du +3 derrière le L19 signifie que l’on va rencontrer du zéro, tout au plus !

Et à Campolara, si les pompes sont au format magnum, les dégueulantes sont du même calibre : à 400 m, si l’on n’est pas sûr de son coup, c’est le retour dans les plus brefs délais assuré.

Non qu’il soit difficile d’accrocher : en général, on arrive assez facilement à se dégoter un bon +3, valeur vraiment minimale pour l’endroit, où il n’est pas rare de bloquer l’aiguille du vario.

En revanche, le serrage de harnais doit être soigné car les thermiques sont violents et il ne faut pas craindre de se faire un peu remuer, surtout si le centrage n’est pas parfait.

Parlons un peu du terrain de jeu. Déroulons une carte : ici l’idéal est vraiment la 1/400 000 de chez Michelin (n° 442). La zone volable s’appuie sur la Guadarrama. Derrière, on entre dans la TMA de Madrid qui est assez fréquentée et qui nous est donc interdite. D’ailleurs, les conditions de vol de la plaine Madrilène sont assez médiocres à ce qu’il paraît. Les vols s’orientent donc tous dans l’axe sud-ouest nord-est avec comme limite extrême au nord-est la vallée de l’Ebre, très défavorable (le point limite est le "Puerto Los Degollados" qui a vraiment un nom prédestiné...), au sud-ouest la frontière portugaise et au nord la ville de Burgos. Largement de quoi s’amuser non ?

 Parlons un peu des conditions. Ici on rencontre de tout : du thermique, du vol de pente sur les sierras, de l’onde dont on peut profiter juste au dessus du terrain.

 Le thermique prend certains jours de proportions dantesques. Tu es cueilli dès le largage par une ascendance régulière type +4 intégré et tu montes, tu montes. La base des nuages (lorsqu’il y en a car on a aussi souvent ici du thermique pur) de semble inaccessible tant elle est haute. Tu montes encore et déjà tu fermes les écoutilles du planeur ; L’ambiance de fournaise a fait place à un air vif et déjà tu sens les morsures du froid. Le souffle court (tu es déjà à plus de 4000m), tu pars droit devant. Tu as 60km d’autonomie à finesse 20 : cela devrait suffire non ? Il y a des champs vachables sans la moindre trace de ligne électrique à perte de vue ; et puis d’ailleurs, la région possède une densité telle de terrains d’aviation, terrains privés, pistes ULM à l’allure d’aéroport international qu’il serait dommage de se frotter au chaume.

 D’ailleurs, le planeur avance, mais ne descend presque pas. Aspiré par les puissants cumulus, la machine regagne très vite l’altitude perdue en transition. Alors le cœur en paix, tu avances dans ton avion à réaction. Dans ces conditions, les trois cents kilomètres sont une formalité touristique. Nous avons vu l’un d’entre nous de faire lâcher campagne à son premier vol, faire son « D » le second jour et son 300 le troisième. Le gain de 3000 était également acquis mais une panne de barographe a privé notre pilote de son insigne d’or !

Pense-y lorsque tu sueras pour accrocher 800 m au-dessus du Leclerc d’Auch.

Alors évidemment ce paradis doit être réservé à l’élite qui méprise les humbles moucherons que nous sommes.

Pas de doute, l’élite est bien là. 7 heures / 700 km par jour : voilà leur menu quotidien. Nous suivons leurs exploits à la radio, où chacun se conseille et s’entraide. Mais le soir les voiliers au long cours et les arpenteurs de local se retrouvent à la même table et l’ambiance qui règne n’incite pas vraiment à la mélancolie.

Les accompagnateurs ne sont pas de reste. Eux ou les pilotes en mal de vol ont d’innombrables possibilités touristiques. La position centrale permet d’accéder facilement à des trésors artistiques ou architecturaux. Par ailleurs, la région est une zone de villégiature pour les Madrilènes et on peut facilement trouver de nombreuses activités pour distraire bobonne et les gamins.

Bien sûr tout ceci n’est pas le fruit du hasard et il faut savoir que la mécanique ne tourne que grâce au travail extraordinaire d’une poignée de bénévoles qui montent l’opération tout au long de l’année (location des terrains, organisation, logistique) et qui gèrent tout sur place. Et dieu sait s’il y a du boulot, entre les douches qui se bouchent, le régulateur du L19 qui fait son caprice ou les factures à établir.

La meilleure façon de rendre hommage à leur travail serait de venir toi aussi participer à la fête (et tant que tu y es de donner un petit coup de main).

Bon : tu vas me dire que j’ai peut-être rêvé ou que j’exagère comme toujours. Mais j’ai d’autres témoins qui te diront la même chose.

Alors ? que fais-tu l’an prochain entre la mi-juillet et début août ?

Vélivolement,

 Jean-Pierre LAUTIER


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